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Le défi: coopérer avec les Autres et la nature

J’aurai voulu mentionner chaque force fondamentale avec SA symétrie correspondante dans le tableau ci-dessous :

ForcesSymétriesDimensionsValeurs éthiques dérivées
?bilateralelargeuréquité, égalité, équilibre etc.
nucléaire faiblemiroirprofondeurréciprocité. vérité etc.
?échellehauteurproportionnalité, mesure etc.
?tempsduréeresponsabilité, durabilité etc.

Hélas, la réponse n’est pas simple. Certes il est évident que la force nucléaire faible se décrit par la symétrie de miroir. Sauf erreur c’est Richard Feynman qui en a écrit les équations. En fait  « Les forces travaillent à l’unisson, elles sont inséparables ». Le réductionnisme est utile pour comprendre la nature, mais celle-ci fonctionne comme un tout indissociable comme les forces fondamentales et l’espace-temps. 

Quelques mois plus tard, lors d’une conférence  à Genève[1], le physicien David Gross, prix Nobel de physique, termina sa conférence en déclarant que les forces fondamentales étaient probablement UNE seule et même force, mais avec des charges différentes…[2]

Par conséquent les valeurs éthiques mentionnées précédemment, devaient aussi fonctionner à l’UNISSON pour respecter l’analogie avec les forces fondamentales. En réalité ces forces coopèrent. Elles opèrent ensemble et non individuellement.

Dans un premier temps j’étais inquiet car cela signifiait qu’on ne pouvait pas choisir ses valeurs « à la carte », mais qu’il fallait courir après quatre lièvres simultanément, c-à-d. après les quatre symétries ! Un défi insurmontable ? Après réflexion j’ai compris  que ce n’était pas impossible : un conducteur de voiture est capable de faire plusieurs choses simultanément : tenir le volant, freiner ou accélérer. 

L’analogie avec les forces fondamentales signifiait aussi qu’il fallait coopérer ou collaborer avec les Autres d’une part, mais aussi avec la Nature.

Unité de l’esprit et de la matière

L’interaction des quatre forces mentionnées ci-dessus a façonné l’univers et la vie qu’il contient. La matière et l’esprit découlent de ces mêmes interactions. Elles forment notre réalité humaine. De même que les quatre forces sont indissociablement liées, l’esprit et la matière ne font qu’un. Elles forment une « unique nature » dotée de propriétés diverses. Une pomme, par exemple, est un objet unique, mais elle peut être simultanément rouge, ferme et sucrée. En reconnaissant cette unité nous ouvrons l’éthique à de nouvelles perspectives, car les lois qui gouvernent la matière sont les mêmes que celles qui gouvernent l’esprit! Ainsi nos activités spirituelles, dont l’éthique, ainsi que nos activités culturelles et naturelles sont régies par des symétries qui se brisent spontanément.

Le comportement éthique

Travailler ensemble dans un esprit de partage et de coopération est infiniment plus fructueux que de concourir chacun pour soi. L’union fait la force, les petits ruisseaux ne font-ils pas les grandes rivières ? N’est-ce pas là la véritable harmonie ? Lorsque toutes les forces concourent dans le sens des symétries ?

Un comportement éthique c’est d’abord le chemin que l’on prend, l’impulsion et la persévérance que l’on met en direction des symétries légèrement brisées. Je prends soin de préciser l’importance du « chemin » par rapport au « but » parce que je crains que des personnes trop bien intentionnées et très zélées mettent tant d’énergie à atteindre leur objectif qu’elles en deviennent tyranniques, pour elles-mêmes et pour les Autres.

Les principes d’égalité, de réciprocité, de proportionnalité et de responsabilité et leurs dérivés vous sont déjà connus. Ce qui est nouveau c’est la découverte qu’ils plongent leurs racines au cœur même de la matière et de l’univers. Ils sont donc universels, tout comme les symétries. Ils forment la base d’une nouvelle éthique au-dessus des contingences politiques, religieuses, philosophiques. Ils sont valables pour les individus, les entreprises, les institutions, les nations.

Les forces fondamentales et leurs symétries existent depuis toujours, soit bien avant l’apparition de l’homme et même de notre planète Terre ; il n’est donc pas étonnant qu’elles s’appliquent aussi bien à l’Homme qu’à la Nature et à l’Environnement puisqu’elles sont à l’origine même de leur naissance.

Cette éthique ne cherche pas à réinventer un père fouettard ; elle n’est qu’une aide à la décision. En résumé, il y a trois manières de se tromper et de créer un désordre exponentiel.

La première, c’est de choisir un mauvais système référentiel duquel la « réalité vivante » serait absente.

La seconde, c’est d’œuvrer dans le sens de la dissymétrie en augmentant les tensions et les déséquilibres au lieu d’aller dans le sens des symétries indiquées par nos quatre repères.

La troisième, c’est de ne rien faire, de laisser faire.

Un marché non régulé ou mal régulé, conforme aux principes libéraux du « laisser-faire » dans lequel une majorité subit les événements au lieu de les contrôler, est un marché où le hasard tend à défaire plutôt qu’à construire, à semer le désordre plutôt qu’à instaurer l’ordre. Les marchés mondiaux sont si complexes qu’ils évoluent naturellement vers toujours plus de désordre plutôt que vers une hypothétique stabilisation. Plus un système est complexe, et plus il est sujet à dégradations et dysfonctionnements.

Il y a des milliers de façons de marcher dans la bonne direction sans pour autant aliéner notre liberté d’action ! Cette ébauche d’éthique est comme un squelette ou une « structure porteuse ». Nous devons l’habiller de nos choix pour affronter les changements climatiques, sociaux, économiques etc. Elle nous laisse une immense marge de manœuvre, un terrain de jeux formidable. Elle n’est pas une doctrine, elle est plutôt un cadre souple dans lequel nous pouvons évoluer et contribuer à façonner un bien commun sans infliger de préjudices aux Autres. Le libre arbitre de chacun est intact, sa responsabilité aussi.

Les repères-limites imposés par ce cadre sont comme des portes d’ascenseur qui nous empêchent de chuter dans le vide, elles sont là pour notre sécurité. Mais lorsque les conditions de « presque symétrie » sont réunies, les portes s’ouvrent pour nous faire accéder à un niveau supérieur de relation avec autrui : une relation faite d’empathie, de sollicitude, de vérité et de justice. C’est grâce à ces portes que le tissu social peut s’enrichir.

Contrairement à la déontologie qui fixe seulement nos devoirs, cette éthique met en valeur notre liberté, nos droits et ceux des Autres. Elle permet à la vérité de s’épanouir. Elle dépend essentiellement de notre niveau de conscience, de notre bon jugement, de nos choix et de notre bonne volonté. A première vue elle est un petit peu plus complexe que la simple notion de « bien » et de « mal ». Pourtant c’est une ébauche d’éthique d’une simplicité enfantine : Il suffit de prendre ce qui EST, pour référence, c’est-à-dire la vie, le vivant, d’œuvrer en direction des symétries légèrement brisées et de s’opposer à toute action qui va dans le sens contraire. C’est ainsi que l’on avancera pas à pas de la symétrie à l’harmonie.

C’est un projet d’éthique pour le futur des grandes institutions et des individus qui exercent un pouvoir ou un autre.

[1] Colloque Wright 2010

[2] Entre-temps la force nucléaire faible et la force électromagnétique ont été réconciliées ou réunies : Dorénavant on parlera de la force « électrofaible ». Les physiciens avancent lentement vers l’unification des forces.  

 

Suite : éthique et néolibéralisme