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Les droits et les devoirs

Les droits et les devoirs sont des valeurs normatives. Les  repères et limites que sont les principes d’égalité, de réciprocité, de proportionnalité, de responsabilité et de liberté, ainsi que les autres valeurs qui leur sont associées sont à la fois des droits et des devoirs. Ces droits et ces devoirs sont intimement liés aux forces humaines à l’instar des opportunités et des contraintes qui sont attachées aux forces de la nature. Par exemple la gravitation est à la fois une opportunité et une contrainte pour les skieurs. Ils ont le droit de s’élancer sur la piste à condition de maîtriser leur vitesse, pour leur sécurité et celle des Autres. Plus généralement on peut dire que les opportunités et contraintes données par les forces de la nature sont un droit d’être et d’évoluer. Le droit d’être implique un devoir moral de réciprocité égal à celui des Autres.

Il y a une symétrie entre les droits et les devoirs. Nos droits, comme nos devoirs, finissent là où commencent ceux des Autres. À première vue, ces droits et devoirs sont une frontière entre individus, mais en réalité, ce sont des passerelles qui relient les êtres entre eux. La symétrie les unit. Ces liens ont un pouvoir immense, celui de rassembler l’humanité en une véritable communauté. C’est par ces liens ou passerelles que le tissu social est irrigué.

Lorsqu’on brise très légèrement les symétries, les droits et les devoirs s’humanisent : on y introduit des notions de tolérance, de pardon et de bienveillance. Avec une légère brisure de symétrie, la rigidité des principes s’estompe, les liens se renforcent, l’amitié, la fraternité, la solidarité se développent.

Chacun peut lire ce texte avec les lunettes de ses intérêts. Un juriste retiendra peut-être l’importance des droits et des devoirs, tandis qu’un médecin privilégiera l’aspect relationnel que ces repères-passerelles créent entre lui et son patient. La complexité de la vie nous interdit de nous fixer trop rigidement sur un seul aspect de la réalité. Une vision holistique favorise l’approche de la vérité.

Alors que les démocraties peinent à promouvoir les droits de l’homme, les philosophes se prennent les pieds dans la rhétorique kantienne des devoirs de l’homme. Le devoir, nous dit Kant, est « la nécessité d’agir par respect pour la loi ». Si c’était par respect des lois physiques naturelles, alors j’aurais été d’accord avec lui, mais il se référait à une loi morale « métaphysique » trop pure pour être réelle.

De mon point de vue les devoirs ne sont que l’image inversée des droits dans le miroir. Ils sont inséparables. Ils découlent du principe de réciprocité. Le droit de pêcher dans la rivière à côté de chez moi n’a de sens que si les riverains en amont ont le devoir de ne pas polluer ce cours d’eau. Le droit de l’un finit là où commence celui de l’Autre. Je ne suis pas le seul à vouloir taquiner la truite, j’accepte que d’autres prennent du poisson.

La convention des droits de l’enfant procède des meilleures intentions : elle donne une liste impressionnante des droits de l’enfant, mais hélas, ne mentionne aucun de ses devoirs ! Comment a-t-on pu céder à l’illusion qu’un enfant puisse avoir des droits sans contrepartie, ne serait-ce que le devoir de respecter les droits des Autres ! Les enfants ignorent ou sous-estiment leur devoir de respect envers leurs professeurs. C’est aussi parce que l’on confond l’égalité d’être avec l’égalité de situation. Les enfants ont le droit d’être et de vivre, comme les adultes, mais ils ne sont pas leurs égaux. Ils doivent commencer par apprendre les règles du grand jeu de la vie, par être instruits sur leurs droits et leurs devoirs. Ils doivent devenir autonomes, dans la mesure du possible, avant d’être les égaux des adultes.

Suite : la liberté