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Symétrie et valeurs symboliques

Dans la culture grecque classique la symétrie était une référence suprême. Elle symbolisait la pureté, la perfection, l’éternité, la beauté. Cette référence abstraite a probablement été importée d’Egypte ou d’Orient par les anciens grecs et elle s’est répandue en occident en influençant notre manière de penser, notre éthique, nos arts, sciences et techniques jusqu’au 20ème siècle.

La symétrie, ce référentiel ultime, a produit des valeurs morales idéalisées au souci de soi, à son bonheur, aux vertus personnelles : perfection, pureté et le christianisme nous a même promis la vie éternelle.  L’histoire et la symétrie ont donné naissance à un grand nombre de théories morales: Épicure, Platon, Spinoza, Kant et bien d’autres.

Contrairement aux sciences dures qui vérifient leurs théories par l’expérimentation, les théories morales classiques reposent sur des traditions, croyances et quelques spéculations. En outre leur quête de valeurs parfois trop absolues a généré des contraintes politico-religieuses insoutenables et tyranniques au cours des siècles.

En se focalisant sur l’Homme pris comme « la mesure de toute chose », certaines anciennes éthiques l’ont rendu responsable de tous les maux. Un mouvement de libération a vu le jour avec l’avènement de la « liberté de conscience » Luther la revendiquée vers 1520 et elle a acquis son statut avec la révolution française et la déclaration des droits de l’Homme en 1789.  Puis elle s’est internationalisée en 1948 avec la déclaration universelle des droits de l’Homme.

La liberté de conscience a sans doute libéré les énergies des entrepreneurs et des libres penseurs ; elle a peut-être contribué à l’essor du capitalisme (Max Weber), mais elle a de graves inconvénients :

  • Elle est très subjective et favorise l’individualisme au détriment du « bien commun» (en se focalisant sur l’Homme elle ignore l’environnement ou alors ne le considère que comme habitat au service de l’Homme).
  • Elle ne convient pas aux institutions puisqu’elles n’ont pas de conscience ; pourtant les institutions jouent un rôle prépondérant dans la société. Les individus en charge de ces institutions qui souhaiteraient promouvoir leurs valeurs éthiques ne sont pas libres, car ils doivent fidélité et loyauté à leur employeur. Et les institutions ont toujours de bonnes excuses pour ignorer les critiques légitimes : des raisons supérieures, des secrets d’État, des considérations budgétaires, la concurrence, le respect de la hiérarchie etc.
  • Enfin cette liberté – sans limite formelle – a ouvert la porte aux démesures.

Nous avons donc besoin d’une nouvelle éthique pour les institutions, pour qu’elles fassent contrepoids à la liberté de conscience des individus dont certains ont un incorrigible besoin d’accumuler et de ne penser qu’à leurs intérêts.

Il faut dire que, dans notre système économique, les individus sont souvent menacés, humiliés, agressés. Il faut donc accepter qu’ils défendent prioritairement leurs intérêts et ceux de leur famille ou proches, car la concurrence est rude.

On ne réformera pas les humains. Par contre Il faut réformer les institutions qui ont trop souvent favorisé les intérêts privés d’une minorité en renforçant ses penchants égoïstes et naturels. Dans cette perspective le référentiel éthique devra être  plus « objectif » en orientant les actions des institutions vers le bien commun avec plus d’équité, de justice, de mesure, de responsabilité pour regagner la confiance des individus indignés par les nombreuses dérives.

Un rééquilibrage est nécessaire, mais comment faire ? Un régulateur de la bourse de Londres nous a fait part de son désarroi devant le manque de référentiel objectif et fiable à sa disposition. C’était lors d’un colloque de l’Observatoire de la finance à Genève. Un brin malicieux il nous demandait s’il devait se baser sur les « Dix commandements » pour réguler la bourse de Londres ? C’est dire tout le travail qu’il reste à faire.

Un système éthique n’a de valeur que s’il est partagé, comme un code de la route. Dans le cadre de la mondialisation nous avons besoin d’une éthique « universelle ». Les éthiques traditionnelles et religieuses sont locales et diffèrent d’un endroit à l’autre. Elles fonctionnent relativement bien aux petites échelles, celle d’un village par exemple, mais elles ne fonctionnent plus du tout aux grandes échelles de la mondialisation. Pendant des siècles les humains ont interagi de manière rapprochée, les yeux dans les yeux, parfois peau contre peau de sorte qu’ils ont appris le langage corporel de leurs partenaires amis ou adversaires. Un sourire, une grimace, un clignement des yeux, un haussement d’épaules, une respiration saccadée et le message était reçu 5 sur 5, on savait si on avait fait le bien ou le mal.

Avec la mondialisation et le changement d’échelle les individus ont perdu le contact direct et les ressorts éthiques se sont rompus. Un trader à New York, Londres ou ailleurs protège son portefeuille en achetant des devises d’un clic de souris, il pense faire le bien, mais il ne voit pas les dommages qu’il cause loin de chez lui. Un industriel exporte des biens pour son plus grand bénéfice, il ne voit pas les perturbations qu’il cause outre-mer. Leurs actions ont toujours un impact sur d’autres marchés et sur la nature elle-même. Un activiste attaque un individu sur les réseaux sociaux sans restreinte, il ne voit pas les dégâts psychologiques qu’il cause.

Nous avons donc besoin d’une nouvelle éthique pour réguler les grandes institutions privées et publiques souvent laxistes. Mais quel référentiel utiliser ? A défaut d’un référentiel adapté aux besoins actuels il faut inventer une nouvelle éthique pour non seulement freiner l’ardeur des acteurs motivés par l’appât du gain et du pouvoir, mais surtout pour orienter les institutions vers le bien commun.

Répondre aux besoins des institutions de toutes sortes en leur donnant un référentiel objectif et fiable… C’est tout l’objet de cette ébauche d’éthique universelle.

Une éthique fiable, partagée par un grand nombre (comme le système métrique), permettrait de construire une mondialisation plus harmonieuse. L’inflation des systèmes éthiques a créé une tour de Babel et une grande confusion des valeurs. Trop d’éthiques tuent l’Éthique !

Dans les sciences les références à la symétrie ont été fructueuses si l’on pense aux découvertes d’Albert Einstein qui est parti de la symétrie pour construire la théorie de la relativité générale. Cependant, elles nous renvoient à un monde abstrait, non vivant, totalement déterminé, non évolutif, en contradiction avec les découvertes de Ch. Darwin et de la mécanique quantique.

Voyons maintenant ce que les symétries légèrement brisées peuvent nous offrir.

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