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La liberté


Ecoutons d’abord Carlo Rubbia(3) prix Nobel de physique et ancien directeur du CERN, le laboratoire des particules, à Genève :

« La symétrie, à mon avis, c’est vraiment la chose la plus fondamentale qui existe aujourd’hui dans la nature. Je crois que si nous avions la possibilité d’expliquer les lois des symétries fondamentales, nous aurions presque tout dit sur ce qu’est le monde. Et partant de cela, nous pourrions construire les équations du monde. Or, ces symétries, qui étaient parfaites dans un monde initial extrêmement simple et uniforme, sont en train de se briser, sont en train de se modifier dans l’évolution.

« C’est une brisure spontanée d’abord. C’est un choix. C’est un choix entre une solution possible et d’autres solutions aussi possibles. Et la nature doit choisir l’une de ces solutions. C’est une cassure qui se vérifie et qui est, dans un certain sens, reliée à l’évolution de l’univers qui est le nôtre, qui passe d’un système extrêmement simple et élémentaire, uniforme, à un système dans lequel il y a différence, il y a modification, il y a des aspects différents, il y a richesse ».

La nature fait des choix(4) ; elle dispose donc d’une liberté faute de quoi elle ne pourrait pas évoluer. Mais cette liberté n’est pas infinie. Elle est bordée (limitée) par les symétries. Elle surgit avec les brisures de symétrie et se fait une place au détriment du déterminisme que l’on croyait absolu. Ce dernier se brise légèrement avec la brisure de symétrie. La liberté ne le supprime pas ! Le déterminisme génétique reste bien présent : nous naissons avec un nez au milieu de la figure, des oreilles sur les côtés, un cœur à gauche etc. Ce qui change c’est ce petit espace créé par la brisure et limité par les symétries que je nomme « liberté ». Par exemple, c’est dans cette liberté que l’épigénétique trouve sa place. Par nos choix de vie (alimentation, activités etc.) nous pouvons modifier l’expression de nos gènes. Ainsi la nature (génétique) et la culture (épigénétique) sont intimement liées. Elles interagissent pour le meilleur et pour le pire.

La liberté, valeur non normative

La liberté nous permet des actions positives et/ou négatives. Mais son espace-temps, aussi vaste soit-il, ne lui suffit pas ; il lui faut encore un environnement physique plus ou moins symétrique. Lorsque nous sommes en bonne santé, nous disposons d’une grande liberté. Par contre, quand nous sommes victimes d’un accident ou d’une maladie, quand notre équilibre physique ou psychique est rompu (jambe cassée, coma), la liberté de nous déplacer ou de parler est atteinte. La liberté dépend donc d’un certain équilibre, d’une certaine symétrie.

Confinés dans une cellule minuscule, où serait notre liberté d’action ? Dans le désert, nous sommes censés être libres de nous déplacer. Or, le serions-nous vraiment si nous n’avions que du temps et de l’espace, mais pas de ressources (eau, vivres, carburant) ? L’espace-temps et les ressources sont intimement liés pour donner une substance à notre liberté. En l’occurrence, les ressources doivent être proportionnelles aux besoins du voyage. Si le principe de proportionnalité est violé, la liberté diminue.

Si toutes les prestations que nous fournissons par notre travail n’avaient pas de contre-prestations salariales ou autres, c’est-à-dire si le principe de réciprocité était inexistant, où serait notre liberté ?

Quelle est la liberté d’un homme sous la torture ? Lorsque les rapports de force sont déséquilibrés, quand le principe d’égalité est violé, la liberté disparaît. Il est commun de dire que notre liberté s’arrête là où commence celle des autres, mais pour l’homme torturé, sa liberté commence là où s’arrête celle du bourreau…

Nous sommes libres de choisir la marque de notre véhicule, le modèle, la couleur, etc. Mais si notre assureur se déresponsabilisait et nous laissait tomber après que notre voiture ait été incendiée, où serait notre liberté ? Notre liberté dépend des Autres et de leur respect du principe de responsabilité.

Nous venons de découvrir que la liberté n’est pas une valeur absolue. Elle aussi naît avec la brisure de symétrie. C’est par cette petite fente dans le déterminisme qu’apparaît Madame la Liberté. C’est à travers cette fissure que se crée un espace-temps avec des possibilités de choix qui ne survivent que dans les limites du respect des diverses symétries.

La liberté donne à l’individu responsable toute sa dignité. La capacité de l’être humain à évoluer dépend étroitement de sa relation à l’environnement et aux autres humains.  Parce que l’être humain est un être matériel et spirituel profondément relationnel, il ne peut s’affranchir des limites que lui dictent les règles de symétries.

Ce sont ces limites qui donnent un sens, une substance et une raison d’être à notre liberté. Une liberté sans limite est comme un territoire sans frontière : indéfendable. Le vieux dicton : la liberté s’arrête là où commence celle des Autres est toujours valable. Il montre l’importance des valeurs normatives.

 

3. CD rom : Le défi de l’univers (retour)

4. Des choix parfois très simples tels que gauche ou droite : Par exemple les acides aminés sont  « gauche » ou lévogyres. Notre cœur est à gauche.(retour)

Suite: le sens de la vie