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Ethique et néolibéralisme

Le néolibéralisme est né en Europe et aux USA, dans les années 1930/1970, en pleine guerre froide, dans un climat de peur grandissante du communisme. Un des nombreux pères fondateurs, M. Milton Friedman aurait en effet « démontré » la « supériorité » des théories monétaristes par rapport aux politiques de J.-M. Keynes qui visaient la relance économique par l’intervention de l’Etat dans les marchés.

Pour être juste il faudrait remonter à 1937 et la publication de « The good society » (traduit : La cité libre ») de Walter Lippmann qui est le père spirituel du néolibéralisme et dont cet ouvrage en constitue la matrice théorique.

Les théories néolibérales ont donc pris le contre-pied du keynésianisme « invasif » en affirmant haut et fort la primauté de l’individu, son autonomie et sa liberté de choisir dans un marché libre de toute intervention étatique.

Ce modèle économique a été implanté pour la 1ère fois au Chili en 1974 lorsque le Général A. Pinochet a invité de jeunes économistes (les experts) issus de l’école monétariste de l’université de Chicago, les bien nommés « Chicago boys ». Leurs missions : d’une part révoquer les choix d’inspiration communistes du Président Allende qui avait nationalisé les mines de cuivre et d’autre part relancer l’économie chilienne étranglée par un embargo. Par la force de la dictature, ce modèle a été imposé sans aucun contrôle démocratique. De nombreux autres pays ont subi le même sort : l’Argentine, le Brésil etc.

L’économie néolibérale repose sur la croyance selon laquelle les échanges seraient porteurs de progrès. Il fallait donc les libérer de toutes entraves et redonner à chacun la liberté d’entreprendre et de commercer en réduisant le rôle du secteur public au profit du privé. Cela impliquait de déréguler, c-à-d. supprimer les frontières et les entraves administratives tout en ignorant les règles éthiques fondamentales.

Or, quiconque s’active dans les marchés les plus divers observera que seuls les échanges équitables, proportionnés et responsables sont durables et porteurs de progrès.

On peut faire le parallèle entre le néolibéralisme et les découvertes de la physique du XX -ème siècle. Les interactions des particules, comme celles des objets du cosmos, ne dépendent que des forces fondamentales. Par analogie on croyait pouvoir traiter les interactions commerciales et financières comme de simples rapports de forces, contrôlés par la concurrence. Le marché, laissé à lui-même, sans intervention étatique ou contraintes morales engendrerait spontanément équilibre, stabilité et croissance. il suffisait de LAISSER FAIRE.

Cette théorie a certes été vérifiée de nombreuses fois aux petites échelles (locales), mais jamais aux grandes échelles de la mondialisation. Lorsqu’il y a pénurie de pommes localement, les prix augmentent et très rapidement des concurrents viennent combler les étals. Dans ce cas les règles de concurrence sont équitables. Les coûts sont similaires, les lois identiques pour tous les acteurs.

Aux grandes échelles les marchés sont incapables de se rééquilibrer, car la concurrence est souvent biaisée par des aides étatiques cachées, des taux de change manipulés, des lois discriminatoires, sans parler du laxisme environnemental et éthique. Nous sommes tous des cobayes et témoins des dérèglements et excès du système néolibéral.

Cette liberté, sans limites, a déchaîné une croissance démesurée des échanges mondiaux . Avec l’injonction de « maximiser ses profits », l’appât du gain a étouffé toutes autres considérations. Quelques privilégiés disposant d’effets de levier puissants ont accumulé des fortunes, tout en aggravant les déséquilibres financiers, commerciaux, fiscaux et environnementaux. Les inégalités sociales et les discriminations font aussi partie de ces effets secondaires nombreux et jamais répertoriés dans les bilans financiers. Cependant, cette liberté nouvelle a également stimulé une formidable créativité dans les sciences, les technologies, la finance, l’industrie, le commerce et les arts.   

Une croissance de l’économie et des profits sans fin et sans limites, dans un monde fini, est-elle possible ? Cette quête infernale ne peut atteindre qu’un but : l’autodestruction.

En se focalisant sur l’arbre (l’individu), le néolibéralisme a perdu de vue la forêt (la société, la nature) et ses écosystèmes. Peu lui importe les pollutions, le pillage des ressources naturelles, le réchauffement climatique. Cette focalisation sur l’individu est une des causes des dérèglements. Est-elle due à un héritage culturel, religieux ? ou n’est-ce qu’une réaction au communisme ?

Le néolibéralisme considère l’éthique comme une affaire individuelle. En cas de problème, il existe des institutions politiques et judiciaires pour les résoudre, mais dans la plupart des cas ces institutions sont désarmées, car les lois nationales s’arrêtent aux frontières tandis que les échanges sont mondialisés.

Vers 1972, un groupe d’intellectuels et de praticiens du commerce et de la finance, le : « Club de Rome », fort d’une analyse exhaustive du M.I.T. lançait un pavé dans la mare en éditant l’ouvrage: « Halte à la croissance ». Ce livre au succès retentissant en librairie n’a eu pratiquement aucun impact sur les acteurs néolibéraux. Il annonçait déjà l’effondrement de l’économie mondiale et de nos systèmes politiques vers 2030 avec des signes avant-coureurs dès 2010.

L’effervescence autour du projet néolibéral a gagné de nombreuses universités dans le monde entier et le mouvement s’est accéléré avec la croissance de l’économie. De nombreuses publications lui ont donné une assise intellectuelle apparemment forte, mais souvent biaisée. De nombreuses théories, déconnectées de la réalité, auraient pu lui être fatales car elles reposent sur des principes tels que: « L’information des acheteurs et vendeurs supposée parfaite », « L’efficience  des marchés qui se rééquilibrent spontanément » et le très méprisant « trickle down effect » ç-à-d. suivez les riches il y aura toujours des miettes qui tombent de leur table ! Malgré ces « dérives» le mouvement néolibéral a continué sa progression, car, dans les faits, l’économie mondiale et les bénéfices pour ses promoteurs étaient en croissance.

L’organisation mondiale du commerce (OMC) n’est pas en mesure d’orienter le commerce mondial dans le sens du bien commun. C’est le règne du « chacun pour soi ». L’OMC n’a d’ailleurs toujours pas de charte éthique et son secrétariat est impuissant : Il n’a pas le droit d’initiative législative. Seuls les Etats membres ont ce droit et la plupart ne songent qu’à leurs intérêts.

Essayons de remonter à l’une des autres sources des problèmes liés au néolibéralisme : La notion de liberté. Son système référentiel considère la liberté comme une valeur supérieure. Effectivement c’est une valeur essentielle : des millions de personnes, au cours de l’histoire, se sont sacrifiées dans leurs luttes pour la liberté. Cependant la doctrine libérale du XIX -ème siècle avait déjà établi qu’au nom de la liberté on pouvait faire le bien et/ou le mal ! par conséquent la liberté ne pouvait pas être une valeur isolée.  

Pour que la liberté soit au service du bien commun, il fallait lui adjoindre une valeur normative comme la responsabilité chargée de limiter l’exubérance naturelle des acteurs motivés par l’appât du gain dans les marchés. Le credo libéral du XIXème et début du XXème siècle : « Liberté et responsabilité » s’est affirmé pendant plus d’un siècle. La responsabilité était une condition nécessaire pour encadrer et limiter la liberté, mais c’était une condition « non suffisante !»

Au lieu d’abandonner les références éthiques, le néolibéralisme aurait dû les compléter en adjoignant à la liberté les valeurs normatives suivantes :

  • Le principe d’égalité (Egalité de droit d’être, de vivre, de s’épanouir), car ce principe fonde l’équité, les équilibres, la justice etc. Nous sommes tous conscients des problèmes actuels : inégalités sociales en croissance, déséquilibres commerciaux et financiers qui génèrent des guerres commerciales et les nombreuses discriminations. Lorsqu’on ignore le principe d’égalité, on tombe fatalement dans l’iniquité, les déséquilibres et la discrimination.
  • La proportionnalité : elle nous donne le sens de la mesure. Un des corrélats du néolibéralisme, c’est sa démesure : Une croissance économique sans limite, des pollutions démesurées qui détruisent les écosystèmes et la biodiversité. Le pillage des ressources naturelles : halieutiques, agricoles et minières: surpêche et surconsommation de viande, destruction gigantesque de grains comestibles pour produire de l’éthanol, déforestations sans limites etc.
  • La réciprocité dans le bien : c’est elle qui permet la solidarité que les pouvoirs publics savent gérer avec succès, comme en Suisse dans nos assurances mutuelles (Retraite AVS, assurance invalidité, assurance maladie, chômage etc.).
    Le néolibéralisme soutient les fondations caritatives privées, car la charité  est une affaire privée, individuelle; mais il fait fi de la solidarité qui est collective et donc non compatible avec ses dogmes !
  • La responsabilité : Répondre de ses actes, de ses paroles, de ses engagements dans le temps est une condition sine qua none si l’on souhaite une économie durable.

Le néolibéralisme a suivi une voie différente ; au lieu de poursuivre le bien commun il a favorisé le bien personnel c.-à-d. le chacun pour soi en faisant de la liberté individuelle une valeur primordiale, il a ainsi favorisé la recherche du profit à court terme. Entre-temps l’heure des comptes a sonné. Le référentiel a changé : les menaces de catastrophes climatiques et sociales frappent à nos portes et ne laissent guère de choix : la bourse ou la vie ?  La finance internationale vient d’inventer un nouveau mot : «la démondialisation ». Ce retour en arrière ne met pas l’éthique à l’ordre du jour, mais il rappelle que le réalisme s’impose quand la théorie est morte.

Suite: origine du néolibéralisme